Pays sans chapeau

Dany Laferrière

Zulma

  • Conseillé par
    6 juin 2019

    Après une longue absence, Vieux Os revient sur son île natale qu'il avait du quitter précipitamment pour fuir les tontons macoutes. Il redécouvre les parfums et les couleurs d'Haïti, retrouve sa famille et ses amis, portant sur ce qui l'entoure un regard neuf. Il se demande si au cours des vingt années passées en Amérique du Nord, il ne serait pas devenu étranger à son pays d'origine. Il décide alors d'entreprendre une quête intérieure au-delà de ce qu'il a gardé en mémoire depuis son départ et qui touche à la fois à l'identité, la culture, la spiritualité, la langue et la logique de l'âme haïtienne.

    Mettant dos à dos deux mondes, le pays réel et le pays rêvé, Pays sans chapeau entremêle dans un jeu captivant l'ici et l'ailleurs, la certitude et le doute, le réel et l'imaginaire. Au fil des pages, la frontière entre les mondes devient poreuse pour finir par se dissoudre. Dans cette étrange histoire de revenant(s), Dany Lafferière affirme qu'Haïti serait devenue un immense cimetière, un pays où tout le monde est mort sans le savoir. Un pays de zombies, de créatures que l'on ne peut plus distinguer des vivants mais qui ne meurent pas malgré le manque d’eau et de nourriture et ne s'écroulent pas quand on leur tire dessus...
    Bien que l'auteur ne l'exprime pas clairement, je présume que ces zombies symbolisent ceux que des années de dictature ont vidés de leur substance vitale et doivent encore supporter l'oppressante occupation postcoloniale américaine.

    " Tous les haïtiens ont un dictateur et un dieu vaudou qui dansent dans leur tête."


  • Conseillé par
    28 septembre 2018

    Quel plaisir de retrouver Vieux Os et ses anecdotes, histoires qui s'empilent parfois comme de courtes nouvelles ayant toutes en commun des personnages ou des lieux d'Haïti. Cette fois-ci le ton est plus sombre que dans les livres précédents de Dany Laferrière ("L'odeur du café", "Le charme des après-midi sans fin", "Le goût des jeunes filles"), l'auteur a grandi, vieilli et quitté le pays de son enfance. Mais en abandonnant la légèreté il n'abandonne pas pour autant tout ce qui fait plaisir au lecteur que je suis. La langue est toujours aussi belle, très oralisée, très dialoguée. Les lieux sont toujours aussi chargés, le pays aussi plaisant à découvrir et difficile sans doute à vivre, entre l'extrême pauvreté des nombreux, la richesse de quelques uns et la crainte des entre-deux de tomber. Les personnages sont toujours aussi beaux et fous. Ils oscillent entre la dure réalité de la vie et les croyances dans les dieux vaudous, les zombies, la vie après la mort. "Je vais vous donner le secret de ce pays. Tous ceux que vous voyez dans les rues en train de marcher ou de parler, eh bien ! la plupart sont morts depuis longtemps et ils ne le savent pas. Ce pays est devenu le plus grand cimetière du monde." (p.55)

    Vieux Os un peu perdu dans son pays qu'il retrouve et dont il a oublié les us et pratiques, tente à la fois de le comprendre de l'extérieur et de replonger au-dedans avec ses ami(e)s, sa famille, les rencontres fortuites ou pas qui, à chaque fois l'interrogent sur le bien-fondé de son départ et de sa longue absence, sur son retour, sur son pays natal et son évolution. Haïti, pays réel ou imaginaire ?

    Très belle idée des éditions Zulma que de rééditer les livres de Dany Laferrière que pour ma part j'ai découvert assez récemment. À chaque fois, je plonge avec bonheur et ressort avec le sourire, même lorsque le propos comme dans celui-ci est moins léger. Pour reprendre un slogan un peu ancien : tout le bien qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur.

    Et puis pour finir, une citation que j'aime bien, d'Elsie, la femme d'un des amis de Vieux Os qui parle à l'écrivain :

    "C'est mon rêve d'être dans un livre. Je connais beaucoup de gens qui aimeraient écrire un livre, moi, mon rêve c'est d'être un personnage de roman. C'est le sommet pour moi. Je trouve ça d'un charme fou." (p.199)

    J'avoue que je ne suis pas loin de penser comme elle. Avis aux écrivains...