Mémoires et histoire à l'École de la République - Quels enjeux ?, Quels enjeux ?
EAN13
9782200346355
ISBN
978-2-200-34635-5
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
DEBATS D'ECOLE
Nombre de pages
160
Dimensions
20 x 14 cm
Poids
189 g
Langue
français
Code dewey
370
Fiches UNIMARC
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Mémoires et histoire à l'École de la République - Quels enjeux ?

Quels enjeux ?

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Armand Colin

Debats D'Ecole

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Conception de couverture : Atelier Didier Thimonier

Conception de maquette intérieure : Dominique Guillaumin

© Armand Colin, Paris, 2007

Internet : http://www.armand-colin.com

Armand ColinÉditeur• 21, rue du Montparnasse• 5006 Paris

9782200346355 — 1re publication

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www.centrenationaldulivre.frCOLLECTION DÉBATS D'ÉCOLEdirigée par Dominique Borne et Benoit FalaizeDans la même collection

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Chapitre 1Histoire et mémoire

Les rapports entre histoire et mémoire, la question des concurrences de mémoires, avant de concerner l'école, constituent un enjeu majeur de nos sociétés. En effet, la mémoire semble devenir une question prégnante voire obsédante dans le champ historiographique aussi bien que médiatique. Depuis quelques années, « enjeux de mémoire », « devoir de mémoire », « lois mémorielles » sont l'objet d'articles dans la grande presse aussi bien que de séminaires et de colloques pointus. L'orchestration mémorielle de l'histoire entre dans le champ plus vaste des « usages publics de l'histoire », expression utilisée pour la première fois par le philosophe allemand Jünger Habermas en 1986 lors de la querelle des historiens allemands, l'Historikerstreit, lancée après la parution d'un article d'Ernst Nolte intitulé « Un passé qui ne veut pas passer », dans le quotidien de centre droit Frankfurter AZ. Le 11 juillet 1986, le philosophe Jünger Habermas réagit violemment et affirme que si le « travail de deuil » n'a pu avoir lieu en Allemagne depuis la guerre, c'est parce que les Allemands n'ont jamais envisagé d'admettre leur « culpabilité ». C'est le point de départ d'une polémique qui oppose des historiens qui, avec Nolte, veulent revisiter le passé nazi pour le relativiser, soulignant que le goulag a précédé les camps de concentration, et ceux qui pensent que l'Allemagne doit affronter la singularité du régime et de ses crimes, au premier rang desquels figure la Shoah.

L'Italien Nicola Gallerano souligne que les usages publics de l'histoire, son instrumentalisation, ne sont pas nécessairement manipulation et déformation de l'histoire et qu'il faut aussi leur accorder une certaine légitimité. La multiplication des commémorations, des lieux de mémoires, des œuvres de fiction voulant faire revivre des mémoires traduit un état de la société et de son rapport au temps.

L'enseignement de l'histoire à l'école est un des modes de cet usage public de l'histoire qui inclut aussi les commémorations, les politiques muséographiques, les lois dites mémorielles. L'école qui, tôt ou tard, reflète les interrogations épistémologiques et subit les influences de la demande sociale, n'est du reste pas restée indifférente au thème, en inscrivant récemment au programme de terminale une question d'histoire de la mémoire ou des mémoires de la Seconde Guerre mondiale.

Si le devoir de mémoire semble particulièrement s'affirmer dans la sphère médiatique et politique depuis une vingtaine d'années, il faut s'interroger sur l'apparente nouveauté du phénomène. La spécificité de la discipline historique qui est de comprendre le sens et le rythme des évolutions, de savoir ce qui relève de la continuité ou de la rupture, enjoint d'historiciser la question des rapports de l'histoire et de la mémoire.

La mémoire individuelle apparaît comme un réceptacle, un stock mouvant et un processus permanent d'archivage et de transformation. La mémoire relève de l'affectif, selon Pierre Nora « elle installe le souvenir dans le sacré, l'histoire l'en débusque toujours1 ». Nombre de romanciers ont décrit la complexité du feuilletage de la mémoire, certains souvenirs anciens enfouis, oubliés, n'étant ramenés à la conscience que par accident, la fameuse réminiscence proustienne.

La prise en compte de la mémoire par les historiens a certes été facilitée par les évolutions historiographiques et la montée en puissance de l'histoire culturelle. Les travaux des historiens sont dans leur ensemble irrigués par la pensée de Paul Ricœur, notamment dans La mémoire, l'histoire et l'oubli2. Paul Ricœur refusait d'opposer mémoire et histoire et présentait leur relation comme nécessaire et imbriquée. La mémoire a pour objet de restituer une absence. En somme, pour dire comme Ricœur : que serait la vérité sans la fidélité ? que serait la fidélité sans la vérité ? Cependant ce dernier avait souligné trois dérives possibles de l'usage de la mémoire : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire obligée. Dans le premier cas la mémoire est rendue impossible par les traumatismes passés, faute d'un travail de deuil possible, il n'y a pas de remémoration. Dans le deuxième cas, la mémoire est manipulée par des idéologies et dans le troisième s'y rajoute une obligation de la commémoration, du souvenir.

Tout un chacun a une compréhension immédiate du mot et a sa propre mémoire sur laquelle réfléchir et éprouver la pertinence des définitions. « J'ai la mémoire de » au sens de « j'en garde le souvenir », une image, une représentation plus ou moins précise. Plusieurs historiens ou sociologues qualifient cette mémoire, au sens courant du terme, de « mémoire vivante ». Cette mémoire est celle d'hommes et de femmes qui ont vécu des événements ou de leurs descendants qui en ont entendu le récit, reçu le témoignage. La mémoire vivante se distingue d'une mémoire idéologique qui est la mise en récit du passé pour répondre à une injonction du présent.

La mémoire vivante est complexe, construite sur des strates profondes, mémoire anthropologique, inconsciente en quelque sorte, qui passe par les usages, comme, par exemple, les traditions culinaires. La mémoire vivante est aussi formée de souvenirs, d'oublis et de représentations que les historiens peuvent étudier à travers les témoignages écrits et surtout oraux. Ce qui permet de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas habituellement, les analphabètes, les exclus, ou, pour reprendre la belle expression d'un pionnier de l'histoire orale, Nuto Reveffi, les « vaincus », expression que Nathan Wachtel utilisera à son tour pour évoquer les Amérindiens et leur « vision des vaincus ».

Le passage de la mémoire individuelle à la mémoire collective nécessite tout un travail de sélection qui privilégie quelques aspects du passé. Ce travail de filtrage est réalisé par des gens qui parlent au nom de leur groupe d'appartenance et que les sociologues appellent des « entrepreneurs de mémoire ». Pour Maurice Halbwachs, il s'agit d'une mémoire que s'approprie une entité collective (groupe ou société). Cette mémoire se construit et fait sens au présent en fabriquant de l'unité à travers une somme de représentations communes. La mémoire collective se construit en fonction des enjeux du présent qui le plus souvent répondent à des revendications liées à un désir de réparation ou de reconnaissance3. C'est ce rapport au temps qui distingue surtout histoire et mémoire. La mémoire veut sauver du passé dans un souci de justice, de réhabilitation, voire de revendication, de réparation là où l'histoire cherche à comprendre la globalité d'une société à un moment donné en s'abstenant de jugement moral. Marie-Claire Lavabre présente avec beaucoup de pertinence l'équation du problème : « Le passé doit-il être pensé comme source du présent ? Ou faut-il tenir que c'est le présent qui donne visage au passé, que c'est le "sens" et non le fait qui constitue l'événement en tant que tel ? Les rapports de l'histoire et de la mémoire sont contenus tout entiers dans la manière dont on caractérise ce qu'est le présent au regard du passé tel qu'il s'est passé4. »VERS UN EMBALLEMENT DE LA MÉMOIRE ?

Pour s'en tenir au seul XXe siècle, le devoir de mémoire n'est pas un phénomène si récent, il a été évoqué à plusieurs reprises en France. On peut dégager quatre moments principaux. Les lendemains de la Première Guerre mondiale sont particulièrement marqués par l'injonction au souvenir, compris alors comme une solidarité post mortem avec ceux qui n'étaient pas revenus,...
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