Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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30 octobre 2015

Les agriculteurs vont mal. Certains qui se sont endettés pour agrandir ou moderniser leurs exploitations croulent sous les dettes. Ils ont dû investir pour s'installer, puis réinvestir pour produire plus, pour obtenir de nouvelles machines, de nouvelles technologies... c'est la course sans fin, le cercle vicieux : investir donc s'endetter pour produire plus et produire plus pour rembourser les dettes, mais comme les cours d'achat baissent, l'argent rentre moins. Il y a forcément un moment où le cercle grossit tellement qu'il éclate, et là, les éclats sont violents et directement pour le paysan. C'est le cas maintenant, ça l'était déjà il y a trente ans.

Éric Fottorino, pendant une dizaine d'années a suivi l'évolution du métier et l'on voit bien dans ses chroniques naître l'angoisse du paysan de ne pas y arriver, son malheur de ne plus pouvoir céder son exploitation à ses enfants partis en ville, dans le même temps que les industriels du métier, les grands céréaliers usent de tous les moyens pour produire encore plus et moins cher. Les grandes entreprises états-uniennes sont très présentes également (Monsanto en tête) qui vendent des produits chimiques, des techniques nouvelles promettant monts et merveilles aux paysans qui se laissent convaincre et aux décideurs européens qui s'aplatissent devant les lobbyistes. Les États-Unis ont permis à l'Europe de se libérer du nazisme, mais ils ont profité de la brèche ouverte pour introduire leurs produits, leurs entreprises, leurs modèles d'exploitations agricoles gigantesques qui ne fonctionnent qu'aux engrais et hormones, taxant les produits européens et refusant d'être taxés sur les leurs. Avec tout le respect, les remerciements, la gratitude qu'on leur doit, il est temps que l'Europe se bouge un peu et revienne à des principes plus naturels. Début des années 90, Éric Fottorino parle du futur des paysans français, de leur obligation de se diversifier : agriculture bio, agrotourisme, pratiques saines et ancestrales qui entretenaient la terre (comme par exemple les élevages de moutons qui nettoyaient les sous-bois et limitaient les feux de forêt), ... Près de trente années plus tard, le mouvement a commencé, petitement, localement (au moins par chez moi) : les marchés avec des producteurs locaux renaissent ou reprennent vigueur (deux marchés hebdomadaires dans ma commune, et pas mal sur toute l'agglomération nantaise), de nombreuses AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne) sont nées, les ventes directes ; l'agriculture biologique a progressé ; il me semble même que les paysans qui fonctionnent avec ces circuits courts s'en sortent correctement, ils ont retrouvé une culture ou un élevage en harmonie avec la nature et ne la forcent plus ; contrairement aux idées reçues, je le sais d'expérience, les denrées achetées par ces biais ne sont pas plus chères qu'au supermarché.

Ce sujet et ce bouquin sont passionnants, c'est une excellente idée que de ressortir ces chroniques d'Éric Fottorino, on mesure les tous petits pas faits et les grands qu'il faut encore accomplir. Le discours du journaliste est parfois technique, avec des chiffres, des noms qu'on a oubliés, mais le contenu est vraiment intéressant et je le rejoins sur beaucoup de points, je me rends même compte qu'il à dû se créer quelques inimitiés, car dans les années 80/90, parler de revenir à de saines pratiques, de renoncer aux rendements à outrance, chercher à favoriser l'agriculture bio n'était pas encore dans les mœurs et dans les discussions. Madame Yv et moi-même commencions à nous mettre aux produits bio, aux achats locaux, aux petits producteurs et notre démarche éveillait quelques remarques ironiques, condescendantes parfois, comme si cette lubie allait nous passer. Je me souviens même d'une connaissance qui m'avait dit : "Tu verras, quand tu seras allé deux ou trois fois à Auchan, tu n'iras plus au marché." Je ne vais jamais dans ce magasin, par contre, je visite toutes les semaines le marché "avec mon p'tit panier..." mais j'ai pas l'air d'un con ma mère... ou ce n'est pas dû à mon panier, mais là c'est un autre sujet...

Thème passionnant, je pourrais faire des pages, j'avais encore tellement de choses à dire... Le mieux ? Lisez ce recueil instructif, on en reparle dans vos commentaires.

PS : les photos sont toutes du photographe qui a fait de merveilleux films et photos sur le monde paysan, Raymond Depardon.

Anne-Marie Métailié

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30 octobre 2015

Récit glaçant qui met en lumière les violences contre les femmes en Argentine. Elles sont courantes, nombreuses et souvent impunies. Des menaces aux coups en passant par les viols et les meurtres, les corps des femmes argentines ne sont pas respectés par les hommes : plus de 1800 meurtres depuis 2008 ! Et lorsque l'on parle de femmes, il faut entendre jeunes femmes, dès 12/13 ans, elles sont embêtées, harcelées. Les victimes sont pauvres, des hommes riches aux puissants soutiens en profitent en toute impunité.

Mais les jeunes femmes peuvent aussi être victimes de viols de la part d'un vieil oncle ou d'un cousin libidineux et/ou alcoolisé et désinhibé. La jalousie des hommes est totalement incompréhensible, ils peuvent passer à des actes violents parce que leur amie porte des tenues qu'ils jugent sexy, mais dans le même temps regarder avec insistance voire pire une autre fille habillée de la même manière et qui aura sans doute elle-même subi les foudres de son ami ou qui aura la chance d'en avoir un plus compréhensif : "Cachito était jaloux et il insultait sa petite amie à tout bout de champ, parce qu'elle se maquillait, parce qu'elle portait des vêtements moulants ou alors parce qu'il l'avait vue parler à un autre garçon." (p.45) Tout cela est tu, reste dans les maisons, ne s'ébruite pas, même si les parents parlent à leurs filles et leurs disent de se méfier. Néanmoins, tout se sait ou se devine : les viols domestiques, la protection financière d'une famille parce qu'un vieil argenté se tape l'une des filles, puis sa sœur plus jeune lorsque la grande aura passé la vingtaine, la prostitution pour subvenir aux besoins de la famille, les filles enceintes dès 14 ans, ...

Ce livre est terrible, je disais glaçant au début de ma recension, parce qu'en plus de parler de féminicide, l'auteure use d'un style froid, implacable. C'est un vrai travail de journaliste, un rapport clinique qui ne laisse pas respirer et qui enfonce le couteau bien profondément dans la plaie qu'est la violence contre les femmes en Argentine (et que l'on pourrait étendre de manière très large). Néanmoins, j'ai trouvé également ce récit un peu décousu : on passe d'une des trois jeunes filles mortes à une autre, puis à l'histoire de l'auteure, puis à d'autres jeunes filles agressées, puis à la voyante, ... c'est un peu difficile à suivre. Il faut s'accrocher tant pour le fond que pour la forme, mais c'est un livre qui laisse des traces.

Cohen & Cohen éditeurs

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30 octobre 2015

Ils sont quatre : Nicolas archéologue français obèse et plutôt bonhomme, Laura informaticienne italienne anorexique et impulsive, Chiara antiquaire italienne chic, belle et lesbienne et Giovanni radiologue italien réputé, ambitieux et détestable. Quatre à ne pas se connaître et à être convoqués de manière très étrange chez un notaire romain, chacun muni d'un demi-objet : carte de tarot, domino, pièce d'échec et dé en ivoire reçus par courrier. Leur rencontre est liée au célèbre tableau de Léonard de Vinci, La joconde ou plutôt à son putatif pendant masculin, Le Jocond.

Vous en dire plus serait gâcher le pur plaisir de lecture qui débute dès les premières lignes et ne s'arrête qu'à la toute dernière ! Je vous conseille de courir acheter ce roman sans même le retourner et lire la quatrième de couverture, qui n'en dévoile pas beaucoup mais forcément un peu quand même ; faites-moi confiance, si vous aimez les polars et les romans d'aventure, vous reviendrez me remercier.

La gageure pour moi sera de parler de ce roman, de le conseiller très fortement sans en dévoiler trop. Bon, je me lance. Le fond d'abord : outre cette histoire totalement folle et originale, les personnages créés par Jean-Pierre Bernhardt sont très bien décrits. Tous quatre assez différents, tant dans leurs travaux que dans leurs ambitions ou leur rang social. Giovanni est riche, veut se présenter aux prochaines élections et se verrait bien le futur Président du Conseil italien. Il est sûr de lui, arrogant et vindicatif et veut ramasser un maximum d'argent avec cette histoire de Jocond. A l'inverse de Nicolas, qui n'a pas un sou de côté, est plein de bon sens et de réflexion et ne se lance jamais dans une action sans en avoir pesé le pour et le contre. Chiara présente bien, elle joue le rôle de sa condition sociale, alors qu'elle est fragile en proie aux doutes et aux questionnements. Laura est cash, elle vivote en travaillant dans une boutique de réparation informatique, elle s'emporte facilement. Laura et Nicolas n'ont que faire des conventions sociales alors que les deux autres ne vivent que par l'image qu'ils renvoient autour d'eux. JP Bernhardt oppose donc ses personnages histoire de donner à chacun d'eux de l'ampleur et que chacun puisse jouer un rôle dans cette aventure. Très bien fait, on y croit jusqu'au bout, je me suis totalement laissé embarquer dedans.

La forme maintenant : je vous ai déjà parlé de la collection Art Noir de chez Cohen&Cohen (Jean-Michel de Brooklyn), des livres tout noirs, de la couverture à la tranche des pages, ce qui en fait de très beaux objets. Si en plus, le contenant est de qualité, ce qui est largement le cas eh bien, vous avez donc ici présenté un roman que vous ne pouvez éviter. Franchement, ce serait dommage, vous rateriez de très beaux moments de lecture.

Jean-Christophe Portes

City Edition

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30 octobre 2015

Très belle idée que de placer un roman policier dans cette époque troublée : la Révolution a commencé depuis deux ans, mais le roi est encore là, et certains rêvent encore d'établir une monarchie constitutionnelle pendant que d'autres veulent revenir à l'ancien régime. Les manipulations sont légion, les arrangements, les pots-de-vins, les bassesses les plus extrêmes sont plus que courantes. Tout le monde manigance dans son coin, tellement le pouvoir en place est fragile. Danton et Mirabeau sont payés par Louis XVI pour son plan de corruption visant à retrouver le pouvoir. Marat écrit dans son journal, semble incorruptible et continue de dire très haut et très véhémentement ce qu'il pense du roi et de ceux qui sont au pouvoir. La belle Olympe de Gouges est aussi présente dans ce roman, en est un personnage avec un vraie place, on lit ses revendications pour la vraie égalité entre tous : le droit de vote des femmes et leur intégration dans la société à la même place que les hommes, de vraies mesures pour aider les pauvres isolés dans des quartiers sordides, la fin de l'esclavage, ...

Le contexte est formidable, je ne suis pas spécialiste de la période, je ne saurais dire s'il y a des anachronismes, des erreurs manifestes, Jean-Christophe Portes indique en fin de volume ses références bibliographiques, solides, ce que je sais c'est qu'il a su rendre un Paris vivant et grouillant, bruissant des intrigues du pouvoir mais aussi des pauvres qui n'en peuvent plus de s'échiner pour presque rien.

Et l'intrigue du roman me demanderez-vous ? Eh bien, elle est elle aussi solide, au début on ne la comprend pas trop, on avance au même rythme que Victor Dauterive, on sent bien qu'il y a lutte au plus haut niveau de l'État et que certains en profitent pour s'en mettre plein les poches, comme quoi, rien ne change... Et puis, on avance et se dessine encore autre chose, plus grand... mais je ne vous dirai pas. Franchement, je me suis régalé.

Mes deux seules réserves seraient sur un format qui aurait pu être un peu pus court, notamment dans la première partie qui se traîne un peu, mais une fois passée, le reste est excellent ; l'autre réserve est purement de mise en page, à savoir que lorsqu'on passe d'un personnage à un autre, il y a un interligne plus large, mais un petit symbole dans cet interligne serait une bonne idée.

Victor Dauterive est un jeune homme de dix-neuf ans, qui a fui une éducation plus que stricte et s'est retrouvé versé dans la nouvelle gendarmerie créée en février 1791 en replacement de la Maréchaussée. Il a la fougue de son âge mais aussi la maladresse et une certaine naïveté liées également à sa jeunesse. Il tombera dans des pièges grossiers, se fera rosser, enlever, doubler, ... C'est un nouveau venu bien sympathique qui change des enquêteurs qui devinent tout, sont totalement blasés et ne tombent que rarement dans les traquenards. C'est un personnage qui demande à s'épaissir, qui s'épaissira sûrement au fil de ses enquêtes, puisqu'une série s'annonce ici avec ce premier titre. Sans doute lui faudra-t-il s'associer avec quelque collègue ou mouche de l'époque (= indic de maintenant) pour prendre un peu d'envergure et se tirer de mauvais pas plus aisément. Une naissance de héros bien sympathique qui ne demande qu'à être suivie d'autres épisodes que je me fais déjà une joie de lire.

Pour plus de renseignements, n'hésitez pas à consulter le site de Victor Dauterive, voire même son compte facebook, et oui, un gendarme de 1791, ça vit aussi avec les réseaux sociaux.

Sergueï Chargounov

La Différence

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30 octobre 2015

Sergueï Chargounov est lié à Zakhar Prilepine : ils sont tous les deux opposants de Poutine, et écrivent dans le même journal en ligne. Ils sont également tous deux écrivains. Mais là ou Zakhar Prilepine est direct voire parfois violent dans ses propos, Sergueï Chargounov est beaucoup plus calme. Il dénonce lui aussi les méthodes du président russe actuel, mais de manière moins directe, néanmoins, les concernés comprennent puisqu'ils le menacent au point qu'il ne peut se présenter aux élections et qu'il a ensuite du mal à trouver du travail en tant que journaliste, son nom étant mis sur liste noire.

Je dois dire que la première partie sur l'enfance de Sergueï m'a paru un peu longue. Pas inintéressant, non, un fils de pope au temps du communisme et de la perestroïka, ce n'est pas banal, mais ça traîne un peu en longueur. Ce livre est une suite de chroniques ou de nouvelles qui se suivent chronologiquement et lorsque Sergueï commence à parler de sa famille élargie, sa grand-mère et son oncle Kolia Bolbass, je recolle au récit, tellement ces personnes ont marqué l'écrivain. Et puis, ensuite, c'est l'entrée en politique et la répression, la maladie de son fils et les guerres qu'il couvrira en tant que journaliste. Tout cela se mêle comme dans sa vie, tout arrive en même temps. Je disais que la première partie m'avait paru longue, en fait le style de S. Chargounov ne s'imprimait pas en moi, sans doute parce que je m'attendais à plus fort, un peu comme Z. Prilepine. Il m'a fallu persévérer (merci Colette) pour comprendre que Sergueï Chargounov, tout en dénonçant les mêmes choses, le faisait sur un autre mode, celui de la confession : son livre est plus intime, plus doux, plus apaisé (bon, d'accord moins que Z. Prilepine, c'est compliqué). Au final, ils se complètent parfaitement et en lisant les deux, on comprendra mieux la Russie de maintenant, non pas celle que nous avons en tête, l'âme slave et tout ce qui va avec, le souffle de l'aventure, les grands espaces, les héros de littérature, ... Non, celle des petites gens abandonnées par le pouvoir, celle des coins les plus reculés à la fois éloignés des conflits des puissants de la capitale mais très au courant quand même, celle des gens qui doivent se battre pour vivre, plus parfois qu'au temps de l'URSS. Finalement tout a changé dans ce pays : la doctrine, le libéralisme a remplacé le communisme les dirigeants - encore que V. Poutine était du KGB, ..., mais rien n'a changé : les puissants sont toujours autoritaires et leurs amis bénéficient d'avantages alors que leurs opposants doivent faire profil bas sous peine de sanctions et d'intimidations.

Belle idée de la part des éditions de La Différence que de traduire ces deux écrivains russes qui parlent de la vie quotidienne en Russie et de les publier tous les deux.