Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Conseillé par
13 octobre 2015

J'aime bien Christian de Metter, il m'a déjà permis de lire un roman que je n'avais absolument pas envie de lire : Shutter Island. Il récidive avec ce roman de Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013, qui me tentait mais son épaisseur (presque 600 pages) m'effrayait un brin. Saluons l'exploit des deux hommes de faire d'un pavé une bande dessinée de 168 pages avec très peu de texte. Les dessins sont tellement explicites que je trouve intelligent et très fin de la part de Pierre Lemaitre de les avoir laissés parler. C'est aussi en substance ce que dit Philippe Torreton dans la fin de sa préface, lui qui a lu le roman et son adaptation dessinée.

Difficile d'en dire plus sur cet ouvrage formidable si ce n'est qu'il s'adresse à tous ceux qui ont aimé le roman et à tous ceux qui ne l'ont pas lu. Il se dévore en quelques minutes, puis à peine posé, on y revient, non pas qu'un détail ait échappé, mais l'envie de revoir ces personnages cassés par la guerre est irrépressible. Tout attire, le scénario, les dessins, les couleurs, ...

Une très belle réussite. A lire forcément.

Anthony MCCARTEN

Piranha

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13 octobre 2015

Anthony McCarten est Néo-Zélandais, auteur de pièces et de romans à succès, c'est lui notamment qui a co-écrit Ladie's night, pièce qui donnera le film The Full Monty (sans qu'il soit crédité), c'est dire s'il sait faire rire avec des sujets sérieux et graves.

Je ne suis pas fan de stand-up à la base ; si c'est pour faire rire avec un énième sketch sur les différences filles/garçons ou jeunes/vieux, si c'est pour parler de son enfance en banlieue, j'avoue qu'à part quelques rares cas, ça me gave, ils racontent tous la même chose de la même façon. C'est d'ailleurs pareil pour les humoristes en général, beaucoup font du réchauffé : les très nombreuses imitations de NIcolas Sarkozy qui bouge les épaules, évidemment à genoux ou penché pour bien montrer qu'il n'est pas grand, les imitations aphones de son épouse, ça va un moment, mais ça lasse et pourtant, "Dieu me crapahute" comme disait l'excellent Pierre Desproges, que je ne soutiens ni l'ex-président ni madame Ex. Non, moi ce que j'aime c'est la nouveauté, si possible dans le fond mais aussi dans la forme. Littéraire, provocante, poétique, gestuelle, enfin tout peut me plaire à condition de me surprendre un peu. Et là, Anthony McCarten me plaît bien parce qu'il s'empare d'un sujet grave et tout en ne le diminuant pas, bien au contraire, il assène quelques opinions très tranchées, il nous fait rire et réfléchir.

Son personnage d'Azime est très bien décrit pas physiquement (on en sait assez peu sur sa silhouette) mais sur ses questionnements, sa vie quotidienne, ses difficultés à vivre au sein d'une communauté fière de ses coutumes. Azime est Anglaise et a envie de vivre comme n'importe quelle jeune de son âge, libre de s'habiller comme elle le veut, de fréquenter qui elle veut et quand elle veut, de donner son avis sur tout et surtout son avis comme disait Coluche. Dans ses sketches et ses réflexions, elle aborde toutes les questions qui fâchent : la religion, la laïcité, l'égalité hommes/femmes, le sexe, la liberté, la montée de l'intégrisme (l'histoire est placée au moment d'un attentat dans le métro de Londres), la double appartenance à la culture kurde et à l'anglaise, ... D'emblée, j'ai pensé à Sophia Aram chez nous qui fait des spectacles sur tous ces thèmes de manière franche et nette, et je voyais bien Azime en elle.

Le roman est très agréable à lire, parce qu'abordable, même si le langage de Deniz est parfois abstrus pour un vieux comme moi, qui mélange argot, verlan et autre langage vernaculaire auquel je n'entrave que dalle. A. McCarten a le sens de la formule, comme par exemple cette sentence lapidaire après un court laïus sur les philosophes et l'humour : "Je pense qu'on peut en conclure que demander à un philosophe de définir l'humour, c'est comme de demander à Stevie Wonder de vous aider à retrouver vos clés de voiture." (p.40), il y en a plein d'autres tirées des spectacles des apprentis humoristes du livre. Il y a aussi des considération plus graves sur les sujets évoqués plus haut. L'auteur ne prend pas parti, il donne des arguments et des contre-arguments qui permettent de faire un tour assez complet de la question, qui invitent donc à la réflexion. C'est cela toute la force du livre que de nous inciter à réfléchir sur des questions essentielles dans nos sociétés, tout cela avec légèreté et humour.

Christophe Lucquin éditeur

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5 octobre 2015

A travers des deux hommes, leur histoire, c'est une histoire universelle qu'écrit là Emilio Sciarrino : l'accompagnement de son compagnon, l'amour qui permet d'aider l'autre à surmonter les mauvais moments voire l'accompagnement jusqu'à la mort. Le texte est magnifique, à la fois simple et délicat. C'est cette simplicité qui facilite l'universalité du propos : le jeune homme qui écrit, intellectuel, professeur d'université ne cherche pas à faire d'effet de style, il va au plus direct, à ce qui touche d'emblée, l'accompagnement de son ami est naturel, comme l'est l'écriture de ce texte (j'espère que je me fais bien comprendre). Il aurait pu en faire des tonnes dans le pathos, écrire un livre de 300 pages, bien plombant et larmoyant. Non, il est pudique, et ce sont des émotions que son propos suscite plutôt que des larmes faciles. La maladie ne les éloigne ni ne les rapproche, elle est là entre eux, ils vivent ensemble et en même temps sur des temps différents. Lui, par exemple, pour son travail sort dans Paris et c'est la pleine période des manifestations contre le mariage pour tous, il croise alors des foules roses et bleues, se sent jugé et rejeté en tant qu'homosexuel. Il coupe télé et radio (moi aussi c'est fait depuis plus d'un an et qu'est-ce que c'est bien !) mais tente quand même de restituer à son compagnon alité ce qu'il voit et ressent dans les rues, notamment ce contexte de rejet voire de haine des homosexuels par les manifestants, les propos ahurissants qu'ils ont pu tenir :

"La maladie le situe dans le temps, sur un plan que je ne peux pas atteindre. Peut-être que tous mes efforts consistent justement à comprendre son regard, à traverser ses différents états d'esprit. Pour lui, ce qui se passe n'a pas, n'a plus d'importance. Son regard est courbé, concentré à un autre niveau. Cependant, les mots sont devenus mous et imprécis. Leur utilisation mensongère et leur fausse disponibilité me paraissent si graves que je les considère comme des outils très dangereux. La négligence qui les maltraite ou la malveillance qui les instrumentalise obligent à les reprendre en main." (p.78)

Un court récit, très beau, très lent où les moments de doute alternent avec les souvenirs de la rencontre des deux hommes et de leurs vacances ou virées mais aussi avec les paysages parisiens et italiens (ils se sont rencontrés à Pise), les questionnements, les conséquences de la maladie sur le corps et l'esprit. Délicat. Élégant. Pudique.

Coffret 3 volumes

20

Casterman

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5 octobre 2015

Le dessein du Chat est assez classique, un album du Chat avec les jeux de mots, les blagues parfois liées à l'actualité : islamisme, religion, les flics blancs états-uniens qui tuent des noirs... et parfois sans lien avec quoi que ce soit, juste le plaisir de lire une bonne case d'humour, car ce sont plutôt des dessins, les gags en trois cases sont réservés au mini-volume Prêchi-prêchat. Tous les thèmes sont abordés, Geluck ne se refuse rien : les handicapés, le sexe, la scatologie, la mort, la maladie, ... Dans Le scrabble du dimanche, il explique que Madame Geluck veut l'entraîner chaque jour du ouiquende dans des parties du célèbre jeu qu'elle est sûre de remporter, et lui d'inventer force stratagèmes ou excuses bidon pour tenter -tenter seulement- d'y échapper.

Que dire de plus des albums de Geluck que je n'aurais pas déjà dit dans mes nombreuses recensions d'iceux ? Ça devient un exercice compliqué, si je veux me renouveler. Lui y arrive bien, mais je dois dire que je n'ai pas son talent de dessinateur, sinon, je me serais croqué vite fait à lire le nouveau Le Chat, un bon mot au-dessus, et hop le tour était joué : ouais, ouais, ça paraît simple en le disant, mais le problème c'est qu'il faut un savoir-faire et une imagination ou un cerveau de malade. Moi j'ai pas. Geluck a.

Je prends toujours autant de plaisir à ouvrir et à découvrir les bandes dessinées de Geluck, Le Chat me suit depuis longtemps (cf. mes divers et nombreux articles à Auteur(e)s G-J) et comme je suis fidèle, et aussi parce que je ne me lasse pas de cet humour vache et décalé, je continue.

Conseillé par
5 octobre 2015

Nom : Philippe Georget. Titres des romans lus : Tendre comme les pierres, mention excellent, Le paradoxe du cerf-volant, époustouflant et le petit dernier, Méfaits d'hiver, excellent itou. Contrairement aux deux précédents, ce dernier n'est pas vraiment exotique ni dans le monde qu'il décrit ni dans les lieux. C'est un roman on ne peut plus basique : l'adultère, les relations hommes/femmes, le regard des autres sur un homme ou une femme trompé par son conjoint. Dit comme cela, ça ne fait pas vraiment envie, et pourtant sa force est de captiver le lecteur avec une intrigue policière basée sur ces faits. De même on pourrait se dire que le flic trompé qui enquête sur des faits qui ressemblent à ce qu'il vit, c'est du déjà vu. Certes, mais là où il est bon P. Georget, c'est qu'au lieu de faire redondance, le comportement de son flic nous plonge totalement dans l'intrigue. C'est un polar dense, 350 pages en petits caractères, on ne s'y ennuie jamais parce que le scénario est impeccable, maîtrisé et que les personnages, Gilles Sebag en tête sont fouillés, détaillés. Il y a des pages excellentes sur l'introspection de Gilles, sur ses questionnements suite à la découverte de la tromperie de Claire, sur la difficulté qu'il a de ne pas penser aux deux amants dans des moments intimes ou simplement dans les mots tendres qu'ils ont dû s'échanger. L'alcool, les insomnies ne seront pas forcément bons conseillers, néanmoins, ce sont deux béquilles provisoires. De belles pages aussi du point de vue de Claire -et des autres femmes- qui ne comprend pas toutes les raisons qui l'ont poussée à tromper Gilles, qui l'aime et veut le reconquérir. Le couple comme base de polar, il fallait y penser et oser.

P. Georget a su créer une équipe de flics que l'on aura plaisir à retrouver : Gilles, le flic intuitif, celui qui mène les enquêtes, un rien blasé qui a "sacrifié" sa carrière pour favoriser sa vie de famille ; son copain Jacques Molina, le flic blagueur, lourd mais qui a le don pour détendre l'atmosphère ; François Ménard, le frustré, celui qui aimerait qu'on le considère à hauteur de Sebag et qui en est jaloux et Julie, jeune flicque efficace, à l'écoute, la touche féminine avec Elsa, la policière scientifique. Tout cela fonctionne très bien sous l'autorité du commissaire Castello et si l'action n'est pas le principal ingrédient du livre, Sebag préfère la réflexion et le travail de fourmi, le vrai quotidien des flics, le suspense et la tension montent tout au long des pages. En cela, on est assez proche d'un roman policier de type Mankell/Wallander : le travail, le travail et la vie pas facile des hommes et des femmes des forces de l'ordre... et le travail.

Ajoutons à tout cela, une écriture vive, simple, directe, un sens de la formule évident, dans les dialogues, notamment ceux de Molina qui aime détourner ou inventer des proverbes : "Tout ça, ce ne sont que des poils de cul dans la chevelure d'un hippie, des broutilles, des détails..." (p.106) et vous avez dans les mains un très bon roman policier que vous ne lâcherez plus jusqu'au dénouement et même si tout fonctionne comme chez moi, vous aurez envie de retrouver l'équipe du commissaire Castello dans d'autres aventures.