Mensonges

Valérie Zenatti

Éditions de L'Olivier

  • Conseillé par
    30 mars 2011

    La plume de Valérie Zenatti m’enchante toujours autant, ce petit livre que j’ai choisi de lire sans en connaître la quatrième de couverture, m’a à la fois bouleversée par le sujet et à la fois ravie par le style. Ce n’est pas un roman à proprement parlé, du moins c’est ce que j’ai ressenti, mais des jeux de miroir, l’adulte se souvient, l’imaginaire croise la réalité : cette période horrible, où le peuple juif fut persécuté d’une façon inhumaine, où aucun adjectif n’est suffisant fort et puissant pour définir ces horreurs.

    Je dois dire, que j’ai eu des moments difficiles, malgré la délicatesse et la douceur de la plume, savoir que ces mots noirs sur papier blanc, ont été bien réels, c’est difficilement acceptable de pouvoir imaginer cette cruauté d’humain à humain. Ce n’est pourtant pas la première fois que je lis ce genre de livre sur le sujet, mais jamais je ne parviendrai à lire ces témoignages sans être bouleversée, horrifiée, et pleine de rage envers ces bourreaux.

    Deux grandes parties pour cette histoire comme le reflet des faits tels que vécus et ceux exposés : En apparence, première partie ! en apparence, on fait visiter les camps, à notre époque , au moment des faits, on mentait, à tous ….

    Mentir pour s’inventer une autre histoire, ne pas croire à cette histoire, mentir pour juste cacher la vérité qui n’est pas toujours belle à dire…

    Le livre commence à Nice en 1979, cette petite fille juive ment, mensonges, titre du livre, mentir pour ne pas avouer qu’elle est juive, car à l’école elle n’aime pas être juive, on parle de ce film “holocauste”, elle ment à sa mère pour pouvoir visionner le film. Le mensonge toujours, le mensonge pour vivre, survivre, pour passer outre les mailles du filet… mentir seule issue possible quand plus rien n’est permis.

    Décrire cette époque les mots manquent pour expliquer à des enfants le pourquoi du comment de ces gestes immondes.

    Page 10 : “les grandes catastrophes ne supportent pas un langage précieux et lourd, elles exigent au contraire des mots délicats, comme un bandage sur une blessure. Quand j’ai commencé à écrire, on m’a demandé pourquoi je n’écrivais pas sur ici et maintenant. On disait de moi : c’est un écrivain de la Shoah. Mais tout écrivain digne de ce nom écrit sur son enfance, et la Shoah est mon enfance. Dans mes livres, je redonne vie aux miens qui ont disparu, à tous les miens, car je contiens en moi mes grands-parents pieux, mes parents assimilés, mes oncles et mes cousins communistes, anarchistes et bundistes.

    A mes yeux, la littérature est l’art de concilier le temps elle doit être à la fois passé, présent et futur. Si elle ne se préoccupe que du passé, c’est de l’histoire, si elle ne se préoccupe que du présent, c’est du journalisme, et si elle n’est tournée que vers le futur, elle devient science-fiction. L’écriture, comme la prière, permet d’être en contact avec ce qu’il y a de plus profond en nous. Ce n’est pas une transcription de la réalité, mais l’intégration de la réalité que l’on restitue pour parvenir à une extension de soi-même.”

    Puis le récit se poursuit à Auschwitz en janvier 1994, visite de ce camp de la mort, je n’en dirais pas plus…

    L’histoire se propulse en 2002, avec un épisode souvenir par le biais du livre “ Le temps des prodiges”, passage bouleversant…

    Page 46 : “ je n’étudie pas : je lis. je n’étudie pas : je suis traversée par une voix,des images un mystère insondables derrière des phrases pourtant limpides. Cet écrivain m’apparait comme Kafka, Schnitzler et Zweig réunis. Kafka, Schnitzler et Zweig qui auraient vécu la catastrophe, et lui auraient survécu. Je suis sous le choc de la découverte. On appelle ça une rencontre.”

    En apparence, elle rencontre Aharon Appelfeld, moment magique : page 53 “ Alors, un à un, des pans entiers de ma vie surgissent presque malgré moi, entre les cyprès, les rosiers et les géraniums de la maison Anna Tikho. Je respire un peu mieux à chaque question, j’ose en poser moi aussi, l’échange devient conversation et, de l’extérieur, nus sommes un vieil homme au regard vif et une jeune femme que l’on pourrait prendre pour un grand-père et sa petite-fille ou pour un écrivain et une journaliste venue l’interviewer, ou même, en tendant l’oreille, pour un écrivain et sa traductrice en langue française. En réalité, il se passe là quelque chose que personne ne peut distinguer à part lui, peut-être, et moi, plus tard, car les mots et la prise de conscience qui les accompagne viennent toujours à contrecoup des émotions et des sensations.”

    La deuxième partie : en transparence… histoire de ce petit garçon et de cette petite fille réfugiés dans les bois, traqués par les loups, perdus, seuls avec leur incompréhension et leur peur, la faim et le froid, ils fuient pas seulement les loups de la forêt mais aussi l’horreur humaine. Très beau récit, émouvant et délicieusement écrit avec délicatesse :

    page 68 “ faire semblant de goûter au bonheur est plus douloureux que se laisser aller à la peine, alors ils continuent à se bercer l’un l’autre. Le ciel de nouveau noir déverse des flots de neige au-dessus d’eux, ils tanguent ensemble, et chaque oscillation de leur corps abat un mur en eux, il y a tant, des murs et des murailles dressés à l’intérieur pour ne pas dire, ne pas ressentir, les protections érigées patiemment s’effondrent et les laissent démunis, mais être démuni à deux n’est pas comme être démuni tout seul.”

    Un petit livre chargé d’émotion, écrit avec brio et douceur malgré le sujet difficile.

    On ressent la sève des mots puisée dans les racines profondes d’un peuple qui a souffert, la blessure reste visible encore ici et maintenant.

    Ecrire pour dire,

    Ecrire pour ne pas oublier l’inoubliable.