Cette vie

Karel Schoeman

Phébus

  • 24 novembre 2010

    Un roman puissant au cœur du veld sud africain.

    Ce que j’ai aimé :

    - L’écriture : intense, serrée au début, comme si elle ne voulait rien laisser percer au travers des mots, elle se délie au fur et à mesure pour chanter la liberté d’une femme dépendante des autres pendant trop longtemps.

    - L’intensité du récit : la narratrice livre des bribes de souvenirs au fil des pages, laissant aux pages suivantes le soin de dévoiler – peut-être - un autre souvenir éclairant, si bien que le récit rebondit, guidé par une mémoire sélective. Le lecteur est littéralement happé par cet univers sporadique.

    - La beauté du texte en général : l’hommage rendu aux paysages de cette région est envoûtant. La ferme dans laquelle vit la narratrice est isolée, au cœur du Roggeveld, et les paysages sauvages environnants sont pour elle comme un aimant, un appel à la liberté et à l’insouciance, mais aussi un chemin vers des réponses. Les lieux savent des secrets que les humains ignorent… Mais le vent aura beau souffler, il ne trahira pas…

    « Je sens autour de nous l’air doucereux, le parfum de l’anis sauvage, et contemple les arbustes qui ont pris racine dans les crevasses parmi les pierres, les fleurs blanches des zygophyllums qui se balancent au pied des collines, le printemps fade, gris, argenté et blanchâtre sous le ciel pâle, l’eau qui scintille un instant au loin à la surface d’un marécage et qui redevient terne tandis que le paysage s’assombrit à mesure que l’ombre obscurcit le soleil. » (p. 82)

    - Le magnifique portait de cette femme, qui, à l’aube de la mort, souhaite solder ses comptes avec la vie et rendre hommage à ceux qu’elle a aimés…

    « Je me suis souvenue de ce que j’avais oublié, j’ai mis des mots sur ce que je ne voulais pas savoir, ma mission est accomplie (…) » (p. 256)

    « L’être humain est condamné à se souvenir et à porter son fardeau jusqu’à la fin. » (p. 262)

    Ce que j’ai moins aimé :

    - La densité du récit, déroutante au premier abord. La narratrice nous livre un monologue avec très peu de pauses, peu de dialogues, comme si elle voulait vraiment profiter de son dernier souffle pour tout dire. Aussi faut-il vraiment se plonger dans le texte pour en saisir toute la beauté, c’est un texte qui se mérite.


  • Conseillé par
    3 mai 2010

    Cette vie, c'est celle d'une vieille dame au crépuscule de sa vie qui reprend le chemin de ses souvenirs, du fond de son lit. Dans l'Afrique du Sud au début du XIXe siècle, elle a grandi isolée. Isolée au milieu du veld, ces larges espaces de la campagne sud-africaine, isolée au sein d'une famille distante et auprès d'une mère froide et insondable.

    Alors celle qui indiffère pose son regard silencieux sur ses frères, ses voisins, qui passent dans cette vie, la sienne. Et elle observe et raconte ce que sa mémoire veut bien lui restituer, ressac d'images, de sensations et de paroles entendues :

    Pendant la prière "les yeux grands ouverts je les observais en cet instant privilégié où ils se croyaient à l'abri des regards, chacun préoccupé par ses soucis, ses rêves ou ses ambitions, paupières closes, tête penchée et mains levées (...). A l'abri de mes mains jointes je voyais errer le regard distrait, les yeux emplis de convoitise, de tendresse ou de jalousie qui, pendant un bref moment d'inattention, se posaient sur l'un ou sur l'autre, les yeux qui cherchaient et trouvaient d'autres yeux par dessus les têtes inclinées."

    Au fil de sa vie, l'âpreté des paysages et des personnes envahissent par bribes sa mémoire.

    Le récit de Karel Schoeman est d'une magnifique simplicité.
    Tout l'art de cet écrivain est de nous envelopper tout entier dans ce brouillard de souvenirs flottants, fragmentés, reflets d'une vie dans le miroir de celles des autres, des non-dits, des souffrances, une vie en creux : cette vie.