Brève histoire de la concentration dans le monde du livre
EAN13
9782377292622
Éditeur
Libertalia
Date de publication
Collection
LIBERTALIA
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Brève histoire de la concentration dans le monde du livre

Libertalia

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L’univers de l’édition change, aussi bien en France que dans le monde, et il
ne se passe pas de semaine sans qu’on apprenne que Vivendi va absorber
Hachette ou que Penguin Random House, le numéro un mondial, va digérer Simon
and Schuster. Si les acquisitions d’entreprises, dans le monde de l’imprimé
comme ailleurs, sont un phénomène ancien, celui des fusions également, la
concentration a une histoire plus récente et travaille à une autre échelle. En
France, elle commence en 1862, lors du rachat de la Librairie Nouvelle, un
gros éditeur de livres de petit format, par la maison Michel Lévy frères,
alors leader du secteur de la littérature générale, et cela effraya Baudelaire
et ses amis. Vingt ans plus tard, c’était contre la « pieuvre verte » et son
réseau de bibliothèques de gares que Maupassant et la presse se mobilisèrent.
Après le rachat des messageries de presse, en 1897 et 1900, la pieuvre devint
encore plus menaçante et, après la Première Guerre mondiale, elle avait cédé
la place dans l’imaginaire au « trust vert », un redoutable adversaire de la
liberté de création si l’on en croit ses détracteurs. Actionnaires
majoritaires des NMPP dès 1947, la Librairie puis le Groupe Hachette
subventionnèrent largement les partis politiques pour éviter la
nationalisation. Chaban-Delmas à droite mais aussi Jean Lecanuet, François
Mitterrand à gauche, mais également le PSU profitèrent de ses largesses et en
contrepartie, les messageries et le groupe Lagardère (propriétaire de Hachette
depuis décembre 1980) furent épargnés par les nationalisations de 1981. Dix
ans plus tard, c’était au tour de Marc Ladreit de Lacharrière de tenter une
OPA très inamicale sur le groupe Gallimard, sauvé in extremis par la réunion
d’actionnaires familiaux et de la BNP. Au moment où l’ancien vice-président de
L’Oréal abandonnait son projet et se rabattait sur la seule Revue des Deux
Mondes où il abritera plus tard Pénélope Fillon, un autre ensemble se
constituait : le Groupe de la Cité, plus tard dénommé Vivendi Universal
Publishing, numéro un français avant son écroulement en 2002. Il fallut près
de deux ans à la Commission européenne pour dire s’il y avait « abus de
position dominante » dans tel ou tel secteur, ce qui amena Hachette à absorber
40 % de VUP, en 2004, et à vendre Editis (les 60 % restants) au groupe Wendel
Investissement qui jura alors vouloir demeurer longtemps dans ce secteur. On
connaît la suite : Editis sera revendu en 2008 à Grupo Planeta, l’Espagnol,
avant d’être repris par Vivendi dix ans plus tard. Entre-temps, Gallimard
(Madrigall) avait racheté Flammarion, Media Participations le groupe La
Martinière-Le Seuil, tandis que Lefebvre-Sarrut dans le secteur juridique, et
RELX Group se renforçaient. Au niveau mondial, Random House l’Américain
(propriété de l’Allemand Bertelsmann) s’était marié avec Penguin pour devenir
le leader mondial, et d’autres groupes s’étaient renforcés tout en voyant
surgir l’ombre des GAFAM qui commençaient à menacer leur domination. Au moment
où Vivendi a confirmé son OPA sur Hachette (numéro 3 mondial dans le trade),
il a paru indispensable de faire le point sur ces concentrations dans le monde
de l’édition et des médias car, de même que Jean-Luc Lagardère possédait
Europe 1, Paris Match, Elle et voulut avoir sa chaîne de télé privée, La 5, de
même Vincent Bolloré exerce sa tutelle ombrageuse sur Canal Plus, CNews et
bien d’autres médias. Si les concentrations peuvent avoir une finalité
économique et financière évidente, afin de réduire les coûts et de transformer
un imprimé en film, en série télévisée ou, demain, en un produit de large
consommation sur Internet, les ambitions politiques et idéologiques ne sont
jamais très loin. Rupert Murdoch l’avait dit en termes crus : il n’était pas
question pour son groupe de publier Les Versets sataniques ou d’embêter Deng
Xiao Ping car son but était de multiplier les profits dans un univers apaisé
où l’on n’inquiète jamais les gros clients. Pour les mêmes raisons, Salman
Rushdie ne put contraindre Penguin à éditer la version poche de son livre car
le marché redoutait les humeurs de l’opinion dans le monde arabo-musulman.
Bien d’autres exemples de censure ont défrayé la chronique pour qu’on ait
besoin d’en dresser la liste. Il demeure une réalité : les concentrations
auront atteint leur probable apogée en France si la réunion de Hachette et
d’Editis est autorisée et pèse alors autour de 3 milliards d’euros, rejetant
son challenger, Madrigall, loin derrière avec ses 550 millions d’euros de
chiffre d’affaires. Dominée par deux ensembles en 2000 (VUP et Hachette) mais
talonnée alors par quatre groupes moyens (Flammarion, Albin Michel, Gallimard
et Le Seuil), l’édition française serait désormais sous la coupe d’un énorme
conglomérat dominant la conception des livres, leur production, leur diffusion
et leur distribution. C’est à décrypter cette réalité souvent fantasmée et à
en rappeler l’histoire que ce livre entend s’attacher, sans négliger les
nouvelles concurrences et l’émergence de ce que l’on commence à appeler le
monde des Webedia. Il s’agit de nouveaux ensembles économiques et financiers,
aux fortes ambitions idéologiques comme on le verra en constatant la présence
de Marc Ladreit de Lacharrière et de ses proches, qui considèrent que l’avenir
se décidera dans le Web 2 ou 3.0, là où les consommateurs de loisirs culturels
seront nombreux demain. De même, on traitera des GAFAM et de leurs mouvements
souvent erratiques, comme le montre l’exemple d’Amazon qui est en train de se
recentrer sur le secteur alimentaire en délaissant le livre et les librairies.
D’autres concentrations assez récentes n’avaient pas dépassé le cap d’une
décennie, tels les chaînes de librairies du type Barnes and Noble ou les
majors de la communication comme AOL Time Warning, tous réduits à des
dimensions moins menaçantes après avoir échoué dans leur tentative de dominer
le marché. Si Amazon part à l’assaut de Walmart et néglige, demain, le marché
du livre, son offensive aura été moins durable que ne le faisait redouter la
vente en ligne mais le renforcement des Webedias est peut-être déjà la preuve
que de nouvelles concentrations se préparent. Spécialiste de l’édition, du
livre et de la lecture, Jean-Yves Mollier ne cesse d’observer les mouvements
de cet univers depuis près de quarante ans. L’Argent et les Lettres. Histoire
du capitalisme d’édition (Fayard, 1988) et Édition, presse et pouvoir en
France au XXe siècle (Fayard, 2008) constituent le socle de son analyse qui
court des années 1770 à nos jours. Une autre histoire de l’édition française
(La fabrique, 2015) et Histoire des libraires et de la librairie depuis
l’Antiquité jusqu’à nos jours (Actes Sud, 2021) constituent deux synthèses
récentes auxquelles il faut joindre les trois éditions de Où va le livre ? (La
Dispute, 2000, 2002 et 2007). À l’échelon international il a dirigé, avec
Jacques Micheon, l’important volume intitulé Les mutations du livre et de
l’imprimé dans le monde du XVIIIe siècle à l’an 2000 (Québec, Presses de
l’université Laval/L’Harmattan, 2001) et publié de nombreux articles. Traduit
en anglais, allemand, italien, espagnol, grec, portugais, coréen, japonais,
russe et chinois, il a été l’invité de la plupart des grandes universités du
monde. Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris
Saclay/Versailles Saint-Quentin, il y a longtemps dirigé le Centre d’histoire
culturelle des sociétés contemporaines et vient de se voir décerner, en 2021,
le prix Charles-Aubert d’histoire de l’Académie de sciences morales et
politiques.
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