La Beauté sur la terre
EAN13
9782889071173
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
C. F. RAMUZ
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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La Beauté sur la terre

Zoé

C. F. Ramuz

Indisponible
Juliette a 17 ans, elle arrive de Cuba, accueillie par son oncle le cafetier
Milliquet dans un village entre les rives du lac Léman et les collines
couvertes de vignes. Nièce et oncle ne se connaissent pas, se parlent à peine,
paralysés par la timidité et la gêne. Juliette s’enferme plusieurs jours dans
sa chambre, la femme de Milliquet s’impatiente : ce n’est qu’une bouche à
nourrir et en plus elle se comporte comme une princesse. Mais nous lecteurs,
savons qu’elle vient de perdre son père, un homme aimant et aimé par elle,
alors qu’elle était déjà orpheline de sa mère « espagnole ». Juliette est en
deuil, mais le village n’a pas l’idée de l’empathie. Enfin, elle fait son
apparition au café. Tous les hommes sont animés d’une profonde curiosité à son
égard, pêcheurs, paysans, vignerons, charpentiers, cafetier, jeunes hommes,
tous ils sont stupéfaits par cette arrivée inopinée et surtout par la beauté
ineffable de la jeune fille. Très vite, les clients viennent de loin pour la
voir. Les comportements dérapent. La femme de Milliquet est jalouse, Juliette
se sent traquée, prisonnière. Mise à la porte par Madame Milliquet, Juliette
s’enfuit chez Rouge, le vieux pêcheur, tout aussi fasciné par elle que les
autres, mais dont l’attitude est protectrice. Il est heureux qu’elle se sente
chez lui comme chez elle, la proximité immédiate de la cabane de Rouge avec
l’eau, les travaux qu’il a fait dans la fébrilité pour lui donner une chambre
à sa façon, murs blancs, sobriété de l’ameublement, font qu’elle se sent en
effet presque comme à la maison. Mais Rouge exagère : à force de la protéger,
il en fait une prisonnière. C’est que le Savoyard la guette, tout comme le
jeune Maurice, qui en a abandonné Emilie, sa fiancée. Les comportements
dérapent encore, et plus gravement. Seul l’accordéoniste italien, bossu, saura
créer un lien avec Juliette, qui dansera sur sa musique. Ce sont des moments
de paix et de grâce pour la jeune fille. Elle en éprouve également de tels
dans la nature, avec l’eau et les montagnes. Elle y brille, littéralement. De
ses premiers à ses derniers romans, Ramuz est hanté par le sentiment que les
hommes ne communiquent pas, qu’ils ne connaissent pas l’union, qu’ils ne sont
que « posés les uns à côté des autres » : séparation et non communication sont
chez lui des mots-clés. Dans La Beauté sur la terre, Ramuz nous fait éprouver
à travers Juliette, bouleversante de beauté, d’innocence, de pureté,
foncièrement séparée des autres, une épiphanie miraculeuse, sorte d’unité
première, sentiment profond et bouleversant de plénitude. Que ce soit sur les
rives du lac, contre la montagne ou avec la musique d’Urbain l’accordéoniste
italien, lui aussi un étranger, séparé des autres par sa bosse et sa langue :
« C’est alors qu’elle était reparue ; il y avait eu une grande joie sur les
montagnes. Elle s’est avancée, elle s’avançait sous le châle de soie ; dans le
mouvement en avant de la marche, on voyait les longues franges monter en
glissant le long de ses jambes, puis aller de chaque côté de leur rondeur en
s’écartant. Elle a posé ses beaux pieds nus sur les cailloux. Et tout à coup
le châle jaune l’a quittée, (…) en même temps les montagnes brillaient, les
poissons sautaient hors de l’eau, – mais elle brillait à présent, elle aussi,
elle brillait de ses bras nus, elle brillait de ses larges épaules. (…) il y
avait comme du miel contre les parois de rocher. Plus bas, sur la pente des
prés, c’était comme de la poudre d’or ; au-dessus des bois, une cendre chaude.
Tout se faisait beau, tout se faisait plus beau encore, comme dans une
rivalité. Toutes les choses qui se font belles, toujours plus belles, l’eau,
la montagne, le ciel, ce qui est liquide, ce qui est solide, ce qui n’est ni
solide, ni liquide, mais tout tient ensemble ; il y a comme une entente, un
continuel échange de l’une à l’autre chose, et entre toutes les choses qui
sont. Et autour d’elle et à cause d’elle (…). Il y a une place pour la
beauté... » Et quand Juliette se met à danser, un sentiment d’unité naît : «
et, avant, il y avait plusieurs choses : là où elle se tient, il n’y en a plus
qu’une. Avant, les choses venaient séparément à vous, elles étaient sans
communication entre elles, on n’en pouvait jamais tenir qu’une à la fois, –
maintenant, elles sont toutes là et c’est comme si elles étaient toutes en
une. » Juliette s’est enfermée dans sa chambre, elle vient d’arriver, elle ne
sait plus où elle est, les souvenirs récents se bousculent dans sa tête.
Soudain elle entend la musique du bossu qui seule est capable de la faire
sortir et d’entrer dans la communauté des hommes au café. Le « on » est tantôt
celui de Juliette, tantôt du narrateur, tantôt encore celui de Rouge le
pêcheur : « Elle était retournée s’étendre sur son lit. Elle se levait, elle
allait s’asseoir sur une chaise, elle ne savait pas pourquoi elle était assise
; elle retournait se coucher, elle ne savait pas pourquoi elle était couchée.
Il y avait un grand mélange dans sa tête où toutes sortes d’objets allaient et
venaient pêle-mêle, puis l’un d’eux grandissait, se plaçant devant les autres
: c’était un pont de bateau. C’est une toile cirée avec une assiette et un
verre, ou une grosse dame à brassard jaune et blanc, sa jaquette grise serrée
à la taille et boutonnant sur une guimpe à col montant. On voyait comment une
des baleines entrait dans un pli de la peau sous le menton chaque fois qu’elle
ouvrait la bouche, parce qu’elle vous parlait. Elle ne vous parle plus... On
voit en face de soi le mur avec un papier gris à petites roses blanches. Le
mur venait à elle à travers l’autre image qui s’amincissait et qui est devenue
transparente comme quand la trame d’une étoffe s’use. S’étant levée, elle va
au mur pour le toucher. Puis, de nouveau, elle est sur sa chaise, de nouveau
elle est balancée, la chaise montant lentement sous elle pour commencer
ensuite à redescendre toujours plus, pendant qu’on a froid autour du cœur. Il
lui a semblé que la nuit était venue. On a entendu les sirènes hurler dans la
brume. On heurte, la porte s’ouvre. Elle voit, sans lever la tête qu’elle
cache dans ses mains, elle voit entre ses doigts qu’on lui apporte son repas
sur un plateau, puis elle a dû pleurer longtemps encore ; elle a dû dormir et
dormir beaucoup, seulement on ne sait pas quand on commence à dormir et quand
on cesse de dormir. Les nuits et les jours s’emmêlent, comme quand on met les
doigts d’une main entre les doigts de l’autre main. On est ici, et, en même
temps, c’est l’hôpital, un pot de tisane, le lit de fer, les draps blancs, la
veilleuse, la feuille de température fixée au mur par des punaises ; – on
entend la pluie tomber sur le toit, on entend les moineaux venir piquer du bec
dans le chéneau à petits coups secs ou bien le fer-blanc grince sous leurs
pattes ; – et à présent ? oh ! on l’a enterré. On la mène dans des bureaux.
Elle va chez un photographe, on a collé la photographie sur une page de carnet
; on a appliqué le sceau humide moitié sur la photographie, moitié sur la page
écrite. Elle pleure beaucoup de nouveau. Elle a froid. Elle s’étend sur son
lit ; elle se roule dans ses couvertures. Le wagon où elle se trouve est tout
près de la locomotive ; la locomotive siffle, siffle encore, les freins
frottent contre les roues ; une secousse, on s’arrête brusquement... –
Juliette ! Elle reconnaît le nom que son père lui donnait ; puis on a essayé
d’ouvrir la porte, mais la porte est fermée à clé. – Juliette, vas-tu répondre
? On recommence : – Alors tu t’enfermes à présent. Qu’est-ce que c’est que ces
manières ? Ça ne va pas durer plus longtemps comme ça... Tu vas descendre. On
a besoin de toi... Elle s’était assise sur le lit ; elle a dit : « Je viens. »
Elle se trouve assise sur le lit, puis s’étonne. On redescendait l’escalier.
Elle entend qu’on descend l’escalier ; elle s’étonne parce qu’il lui semble
qu’il fait clair, et c’est que tout change. Le mur en face d’elle a changé de
couleur. Elle s’est demandé d’abord si elle ne continuait pas à rêver, mais
elle le voit qui dure, ce mur, il ne veut plus cesser de durer ; – il bouge,
et en même temps le plafond bouge. Une quantité de jolies petites lunes sont
l...
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