La fragilité du sens

Le projet novateur de la phénoménologie est de reconduire la réalité au sens et ce sens à une activité de la subjectivité, qui le dévoile dans sa fragilité, c’est-à-dire aussi bien dans la possibilité de sa disparition que dans celle de sa genèse constante. Cette fragilité du sens n’est donc pas seulement celle de la constitution du monde par un sujet fini, mais elle tient également à l’excès de ce qui se donne à nous et déborde nos pouvoirs, et c’est pourquoi la vision des essences demeure notre continuel avenir. Dès lors, l’eau vive du sens nous désaltère en nous altérant, en nous ouvrant au-delà de nos possibles. Avec Husserl et l’inouï de la réduction phénoménologique tout d’abord, puis avec Levinas, Maldiney et enfin Chrétien, la phénoménologie met en lumière la vie du sens en montrant qu’il n’y a pas de sens qui ne soit exposé à l’abîme du non-sens. Il est alors nécessaire de ne plus enfermer le sens dans une unique perspective et de se libérer de l’alternative désastreuse du réalisme ou de l’idéalisme du sens. Ainsi, la fragilité devient une dimension fondamentale de la phénoménalité, qui donne à comprendre que nous sommes en charge de dire ce sens par toute notre vie.