La Maladie

Emilio Sciarrino

Christophe Lucquin éditeur

  • Conseillé par
    5 octobre 2015

    A travers des deux hommes, leur histoire, c'est une histoire universelle qu'écrit là Emilio Sciarrino : l'accompagnement de son compagnon, l'amour qui permet d'aider l'autre à surmonter les mauvais moments voire l'accompagnement jusqu'à la mort. Le texte est magnifique, à la fois simple et délicat. C'est cette simplicité qui facilite l'universalité du propos : le jeune homme qui écrit, intellectuel, professeur d'université ne cherche pas à faire d'effet de style, il va au plus direct, à ce qui touche d'emblée, l'accompagnement de son ami est naturel, comme l'est l'écriture de ce texte (j'espère que je me fais bien comprendre). Il aurait pu en faire des tonnes dans le pathos, écrire un livre de 300 pages, bien plombant et larmoyant. Non, il est pudique, et ce sont des émotions que son propos suscite plutôt que des larmes faciles. La maladie ne les éloigne ni ne les rapproche, elle est là entre eux, ils vivent ensemble et en même temps sur des temps différents. Lui, par exemple, pour son travail sort dans Paris et c'est la pleine période des manifestations contre le mariage pour tous, il croise alors des foules roses et bleues, se sent jugé et rejeté en tant qu'homosexuel. Il coupe télé et radio (moi aussi c'est fait depuis plus d'un an et qu'est-ce que c'est bien !) mais tente quand même de restituer à son compagnon alité ce qu'il voit et ressent dans les rues, notamment ce contexte de rejet voire de haine des homosexuels par les manifestants, les propos ahurissants qu'ils ont pu tenir :

    "La maladie le situe dans le temps, sur un plan que je ne peux pas atteindre. Peut-être que tous mes efforts consistent justement à comprendre son regard, à traverser ses différents états d'esprit. Pour lui, ce qui se passe n'a pas, n'a plus d'importance. Son regard est courbé, concentré à un autre niveau. Cependant, les mots sont devenus mous et imprécis. Leur utilisation mensongère et leur fausse disponibilité me paraissent si graves que je les considère comme des outils très dangereux. La négligence qui les maltraite ou la malveillance qui les instrumentalise obligent à les reprendre en main." (p.78)

    Un court récit, très beau, très lent où les moments de doute alternent avec les souvenirs de la rencontre des deux hommes et de leurs vacances ou virées mais aussi avec les paysages parisiens et italiens (ils se sont rencontrés à Pise), les questionnements, les conséquences de la maladie sur le corps et l'esprit. Délicat. Élégant. Pudique.