Disséquer la Saint-Valentin

Le corps a trop longtemps été oublié par l’histoire et les historiens. Or, il
constitue l’une des dynamiques majeures de l’Occident. De l’abstinence des prêtres aux délices du pays de cocagne, du christianisme au paganisme, du rire au don des larmes dont saint Louis était dépourvu, de la mode vestimentaire aux sports, du célibat à l’amour courtois, d’Héloïse à Abélard jusqu’à saint François, le corps est le siège d’une tension fondamentale. À travers l’étude de la matrice de la modernité qu’est le Moyen Âge, Une histoire du corps au Moyen Âge aide à la compréhension du monde où nous vivons.


Abbe Du Laurens

Éditions Marguerite Waknine

L’abbé Du Laurens est intrigant, trivial, obscène, scandaleux, subversif, spirituel, hilarant, licencieux, libertin, philosophe, écrivain. Absolument. Deux dates : 1719 - 1793. Entre elles deux, la vie de ce personnage captivant, élevé chez les Jésuites, promis à la vie monastique, étudiant doué, esprit vif, amoureux des belles-lettres, écrivain polémiste, dont les ouvrages licencieux le mèneront sur les routes de l’exil. Dénoncé, Du Laurens sera finalement condamné à l’emprisonnement perpétuel. Il en mourra à l’âge de 74 ans, après 26 années d’enfermement, en laissant derrière lui une œuvre somme toute abondante, parmi laquelle un ouvrage paru en 1763 : L’Arétin moderne. Étrange ouvrage où des histoires se mêlent à des essais sur des sujets aussi divers que les enfants, l’agriculture, les chiens… Quoi qu’il en soit, le fond de l’affaire est une critique à tout va de la religion. Mais les histoires qui parsèment cet ouvrage peuvent être regardées comme de véritables petites nouvelles. C’est pour quoi elles sont là, rassemblées sous cette couverture. Parodiant à souhait certains des plus fameux épisodes de la Bible, elles nous font découvrir un grand auteur. Et bien que le siècle des Lumières nous ait depuis longtemps habitués aux plus beaux esprits, il faudra bien avouer que Du Laurens fait partie des premiers d’entre eux. Ce que ne manqueront de remarquer les frères Goncourt au siècle suivant :
Ce Du Laurens (…) a été, dans son siècle, un esprit rare et redoutable. Au bout de ces imaginations ordurières, de ces portraits caricaturaux, derrière cette parade licencieuse, ce rire et cette polissonnerie, il y a une idée armée. Dans ce carnaval de la Bible et de l’Évangile, de l’enfer et du paradis, il y a un pamphlet, un réquisitoire, un manifeste. Dans ce farceur, il y a un parti : la raison du xviiie siècle.


Jehane Zouyane

Humus

Péripatéticienne, écrivain et artiste suisse, Grisélidis Réal (1929-2005) a milité pour la dignité des personnes prostituées. Après s'être formée à l'Ecole des Arts et Métiers de Zürich, Grisélidis n'a que très peu exposé, tout en cherchant à vivre de sa peinture ; mais soucis matériels et aléas amoureux, puis activisme de putain révolutionnaire ont relégué sa créativité plastique. Pourtant, sur sa tombe, elle a voulu l'épitaphe écrivain - peintre - prostituée. Jehane Zouyene a mené une recherche originale sur l'oeuvre graphique et picturale, en étudiant son iconographie, celle d'un bestiaire fantastique et d'un idéal de vie sauvage. Ce livre reproduit l'ensemble des oeuvres connues.


Kaufmann jean-claude

Que sais-je ?


“Kate, aux grands yeux dessinés, à la beauté écrasante de grâce et de sophistication et Lana, à la moue boudeuse et enchanteresse, ne font pas à proprement parler des jaloux, encore moins des envieux, mais des fantômes, des délinquants et des assassins, tous épouvantés et meurtris par tant de distance.”

Dans la ville natale de l’auteur, trois adolescentes agressent un homme, ou plutôt un type, représentant caractéristique d’une classe d’êtres fashion. Témoin de ce lynchage, Éric Chauvier vient au secours de l’homme mais, déjà, les silhouettes des jeunes filles se sont éclipsées. La victime décline toute aide puis se dirige vers un bar, le bien-nommé Dark Rihanna, “bar-club très tendance”, avaient décrit les journaux au moment de son ouverture. Le narrateur la suit, pénètre à son tour dans ce temple mondialisé – décoration new-yorkaise, murs de briques vertes, plafonniers industriels, le tout orné de reproductions d’œuvres de Basquiat et de Keith Haring, de photographies de William Burroughs ou de Jack Kerouac. La clientèle du bar compose une collection de types : du “gentleman farmer hyperurbain” à la jeune femme un peu queer en passant par une fausse Patti Smith et une Debbie Harry plus réussie. Étranger dans la ville qui l'a vu grandir, l'anthropologue tente de saisir ce qu'il voit sans parvenir à en être lui-même acteur. Comment dans ces conditions devenir l'"observateur participant" prôné par l'ethnologie moderne ? Chauvier souhaiterait commander une bière. Ce qui semble peine perdue, tant les codes du lieu lui échappent.
Devant le jeu de référances remâchées qui s'étalent sous ses yeux, de Booba à Rihanna, Éric Chauvier explore avec une ironie pour le moins radicale les failles des représentations, la terreur tapie ou calfeutrée de ces nouvelles métropoles du désir. Parviendra-t-il à consommer ? Dans son non-genre, ce livre est une merveille.