Penser dans l'institution, penser l'institution

EHESP – Presses de l'Ecole des hautes études en santé publique


Se déprendre du maternel

Denoël

Le désir d'inceste est partout présent dans nos existences. Car il est ce à partir de quoi se construit à l'origine le désir. Mais pour que l'enfant s'humanise, qu'il devienne un véritable sujet, un être de parole, il lui faut renoncer, non pas comme on le dit communément à coucher avec sa mère, mais à la jouissance qu'il partage avec elle. Et à laquelle celle-ci doit également renoncer. Or, de nos jours, l'interdit œdipien, impliquant de prendre de la distance avec le premier Autre de l'enfant, avec l'univers maternel, et de ce confronter à la perte, va de moins en moins de soi. Car la délégitimation dans notre environnement néolibéral de toutes les figures d'autorité, à commencer par celle du père, rend ces opérations difficiles. D'autant plus difficiles que tout, dans le discours dominant, tend à renforcer l'évolution vers une société qui prône, au nom d'une légitime aspiration à la démocratie, l'égalité sans limite - notamment entre le père et la mère, entre les générations. Et la mise en avant du seul individu, sinon d'un éternel enfant-objet. Ce qui conduit à confondre différence et altérité et incite d'autre part à récuser toutes les contraintes, à abolir toutes les limitations à la jouissance. Non sans conséquences, comme le montre par exemple l'apparition de nouvelles pathologies et en particulier l'essor spectaculaire des addictions de toutes sortes. Que faire pour affronter cette crise de l'humanisation qu'a entraînée l'estompement de l'interdit de l'inceste sous toutes ses formes ? Comment, en particulier, restaurer pour chacun la capacité de se déprendre du maternel ? De pouvoir désirer ? Comment éviter que, de plus en plus, le singulier ne l'emporte sur le collectif ? Des questions cruciales, que l'auteur explore cas cliniques à l'appui.
Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste, ancien président de l'Association freudienne internationale, a publié de nombreux ouvrages, notamment La Perversion ordinaire (Denoël, 2007) et La condition humaine n'est pas sans conditions (entretiens avec Vincent Flamand, Denoël, 2010).


Vivre ensemble sans autrui

Denoël

Des changements majeurs, accélérés par divers progrès techniques, ont mis à l'épreuve tous les repères jusqu'ici les plus stables dans la vie en société : le mariage, la procréation, les rapports entre les générations, la différence des sexes, l'éducation, l'autorité dans la famille, à l'école et dans toute la vie collective, le passage à l'âge adulte, etc. L'équilibre psychique des individus - leur subjectivité - s'en retrouve modifié d'une manière inédite dans l'histoire de l'humanité. C'est à une réelle mutation du lien social qu'on assiste. Parmi les conséquences majeures de ce phénomène, on peut notamment repérer la prévalence accordée à la jouissance par rapport au désir, le rejet de la nécessité de se confronter à la dimension de la perte, le refus du recours au tiers au profit des simples situations duelles, l'illusion d'une nouvelle autonomie subjective et même une tentative, en fin de compte, de vivre ensemble sans autrui. On peut voir là à l'œuvre un fonctionnement psychique fondé sur un mécanisme - le déni - que Freud considérait central dans la perversion. Sommes-nous donc tous en train de devenir pervers ? Certainement pas si l'on veut parler du renversement du rapport à la Loi que l'on constate chez Sade ou Sacher-Masoch. Mais les évolutions en cours nous invitent à adopter des comportements qui relèvent de ce qu'on pourrait appeler une «perversion ordinaire», propre à notre époque, qui vient se substituer en partie à la «névrose ordinaire» d'hier.
Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste, ancien président de l'Association freudienne internationale, est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Un monde sans limite (Érès, 1997) et, en collaboration avec Charles Melman, L'Homme sans gravité (Denoël, 2002).


Pour chaque enfant, c'est la famille conjugale qui est le lieu de l'humanisation. Les fonctions de la mère et du père restent différenciées et asymétriques même si, aujourd'hui, le mot de parentalité laisse souvent entendre le contraire...Pour chaque enfant, c'est la famille conjugale qui est le lieu de l'humanisation. Les fonctions de la mère et du père restent différenciées et asymétriques même si, aujourd'hui, le mot de parentalité laisse souvent entendre le contraire : la mère est le premier autre, le père intervient en deuxième, et il s'agit pour lui d'inverser la prévalence naturelle donnée à la mère, non pas à son profit â€" comme le voulait souvent le patriarcat â€" mais au profit de l'inscription de l'enfant dans le langage, capacité qui définit notre espèce. La parentalité est alors l'indice d'une défense inédite contre le sexuel. La société néolibérale du tout possible prétend se débarrasser de la dissymétrie entre père et mère. Elle ne s'aperçoit pas qu'elle rend ainsi plus difficile le travail d'humanisation que la génération du dessus assume à l'égard de celle qui suit. S'en suivent des conséquences cliniques qui méritent d'être identifiées.


ce que peut la psychanalyse pour la vie collective

Erès